En cherchant dans ma bibliothèque je suis tombé sur ce billet laissé par mon prédécesseur pour être publié exactement 100 ans plus tard – le hasard fait bien les choses ! C’est le récit d’une réunion dramatique qui a vraiment eu lieu à la Résidence le 1 septembre 1914 sur la conduite de la Grande Guerre, et mon prédécesseur y a tenu une position courageuse. Voici son histoire :
1 septembre 1914
Quelle journée ! Je laisse à mon successeur le soin de publier ce billet dans cent ans, après l’invention d’Internet.
Je fais déjà face à de grandes difficultés. Vu la progression des armées allemandes vers Paris, les Ambassades ici préparent leur évacuation vers Bordeaux. Sir John French, Commandant de la force expéditionnaire britannique (BEF), subit des pressions énormes et je lui donne tout le soutien qui est en mon pouvoir. Depuis son débarquement et celui du BEF voici quinze jours, ils ne font que battre en retraite aux cotés des forces françaises, devant la déferlante invasion allemande.
La pression monte sur Sir John de la part des politiques, et en particulier de Lord Kitchener, ministre de la guerre, pour qu’il s’arrête et combatte. Il est évident qu’il ne peut s’arrêter que si les forces françaises tiennent ferme aussi. Sir John a insisté pour garder le droit de décider – avec les généraux français – quand arrêter de battre en retraite. Il pense, à titre personnel, qu’il faudra attendre que la bataille arrive à la Marne, où les forces alliées pourront arrêter l’avancée allemande et défendre Paris.
Ces tensions ont éclaté à ma Résidence aujourd’hui. J’ai reçu dans la nuit un télégramme m’informant que Kitchener était en route pour une conférence avec Sir John, et me demandant de tout mettre en place. Sir John, plus qu’irrité, est arrivé à Paris de son QG, et nous avons eu une réunion militaire très positive avec plusieurs ministres français.
Kitchener est arrivé pour le déjeuner, portant un uniforme de Maréchal des Armées ! Quand il a commencé à parler à la manière d’un commandant en chef, et a suggéré qu’il se déplacerait au front pour inspecter les troupes, le pauvre général French n’a pas supporté. Il a protesté en arguant que cette action minerait son autorité et serait clairement intolérable.
Entièrement d’accord avec le général, j’ai décidé que l’enjeu était assez important pour que mettre mon poste dans la balance. J’ai donc demandé à voir le ministre en privé pour lui dire que je ne permettrais pas une telle atteinte à l’autorité du Général French. Le message reçu par l’opinion française, autant militaire que dans la rue, serait que le commandant de la BEF n’avait plus la confiance du gouvernement britannique. J’ai mis en garde Kitchener que j’enverrais un télégramme au ministre des affaires étrangères, Sir Edward Grey, afin d’exposant la situation et ma position, et requérir des instructions. Je l’ai écrit sur le coup et l’ai montré à Kitchener – un sérieux risque, vu ses accès de colère bien connus !
Quand Kitchener a compris que ce n’étais pas du bluff, il ne s’est pas opposé à l’envoi du télégramme, et je l’ai donc envoyé. Je crois qu’à ce moment il s’est rendu compte qu’il s’était trop avancé. Il est retourné dans l’autre pièce et a eu une nouvelle discussion houleuse avec Sir John, qui y a finalement coupé court en disant qu’il devait retourner à son QG pour continuer la guerre. Dans la soirée, Kitchener a décidé de laisser tomber son idée de visiter les troupes et de rentrer à Londres. J’ai reçu plus tard un télégramme de Grey qui m’assurait de son soutien et demandait à Kitchener de rentrer. Ouf !
Et comme point final à une journée mémorable, un avion allemand a survolé l’Ambassade dans la soirée et lâché une bombe Place de la Concorde.
J’aime à croire qu’en réagissant, j’ai aidé à préserver l’autorité de Sir John et d’éviter une rupture permanente entre lui et Kitchener. En fin de compte, quelques jours plus tard, les armées britanniques et françaises se sont arrêtées à la Marne, pour y stopper l’avancée allemande et sauver Paris.
Sir Francis Bertie
Ambassadeur de Grande Bretagne à Paris
Septembre 1914